Le coach encore debout dit alors :
« A vous observer, il semble que vous cherchez la juste distance, peut-être entre nous, peut être dans une autre situation qui vous préoccupe. »
Passé un instant de stupéfaction, le client expliqua sont enjeu. Il venait de recruter un directeur opérationnel pour diriger une de ses sociétés et se demandait quelle serait la bonne distance de délégation. Il savait pertinemment qu’il fallait lui laisser de l’espace mais se disant aussi que le nouvel arrivant ne connaissait pas grand-chose du métier de l’entreprise et aurait sans doute besoin d’un soutien plus important pendant un temps d’intégration.
L’enjeu du client fut vite posé en termes très simples. Le coach encore debout proposa rapidement au client de s’adresser au nouveau directeur directement, comme s’il était assis sur la chaise en face, afin de lui formuler une proposition d’accompagnement de prise de poste.
L’exemple ci-dessus illustre que pour un coach systémique, la forme ou les patterns de tout ce qui se passe en amont d’un coaching fournit des indications précises sur les enjeux du client. Il est donc utile pour le coach d’être attentif à l’enchainement de petits détails, d’évènements, de comportements et de communications qui précèdent l’instant de coaching avec un client.
Comme dans l’exemple ci-dessus, les comportements observés peuvent être directement attribuables au client qui manifeste sa préoccupation de façon inconsciente en déplaçant la chaise qu’il souhaite occuper en face de l’autre. Bien souvent, toutefois, il est plus difficile de trouver un lien de causalité directe entre l’observable qui précède un coaching et le contenu apporté par le client :
Autre exemple
Un directeur financier expatrié à New York depuis quatre ans et en fin de mission cherche son poste suivant. Il souhaite revenir en Europe avec un poste équivalent soit dans son entreprise soit ailleurs. Au sein de son entreprise, son dossier ne semble pas avancer. La RH semble patiner, temporiser. Le directeur décide de prendre les choses en mains, de chercher son futur poste en s’adressant directement à sa hiérarchie, d’autres divisions et sociétés du groupe.
Il parle aussi à son coach d’un souci plus personnel. Son appartement arrive en fin de bail bien trop tôt, et le propriétaire ne semble pas vouloir renouveler pour une période courte, veux peut-être augmenter le loyer, mais ne dit pas les chose clairement. En plus de ses recherches de futur poste en Europe, le client doit donc aussi déménager sa famille dans un autre appartement New Yorkais juste pour quelques mois, en attendant un autre déménagement plus conséquent vers l’Europe. La situation semblait bien complexe à gérer, Le temps passa et les échéances approchèrent.
Un déblocage salutaire eut lieu dans la sphère habitation. Dans le même immeuble, à quelques étages près, un appartement de la même forme et taille mais orienté dans le sens opposé, vers l’est plutôt que l’ouest, se libérait pour six mois. Cela simplifiait tout l’enjeu du déménagement familial.
Lorsque le coach appris la nouvelle, il dit simplement : Si ce qui se déroule avait un sens symbolique, au niveau professionnel aussi, tu vas vite trouver un poste équivalent, au même étage, dans la même société ou immeuble, simplement orienté Est plutôt qu’Ouest. Et il sera temporaire, en attendant un plus grand changement. Dans le mois qui suivit, il eut effectivement un poste équivalent dans la même société, en Europe.
Cet exemple plus complexe illustre l’occurrence de reflets de formes ou de patterns dans deux dimensions relativement distinctes : l’appartement familial d’une part, et le contexte professionnel d’autre part. Un coach systémique tient compte de ces résonances entre différents espaces de la vie d’un client. Il les écoute, saisit le sens qu’elles véhiculent et s’en sert pour accompagner la réflexion et l’action de ses clients. En se reposant sur la notion fractale issue de la nature comme de la mécanique quantique de fractal, un coach systémique considère que toutes les actions d’un client véhiculent des formes communes, un sens cohérent, une synchronicité cohérente.
De façon pratique dans l’exemple ci-dessus il est utile de relever un certain nombre d’éléments d’événement qui ensemble peuvent servir à préciser le mouvement du client. Il arrive à un fin de contrat ou de bail et fait face à un déménagement à la fois personnel et professionnel. £dans ces deux domaines, il perçoit qu’il a deux interlocuteurs privilégiés qui ne lui semblent pas favorables, utiles ou clairs : le RH d’un côté, son bailleur d’appartement de l’autre. Ce constat le pousse à prendre les choses en mains. Il cherche son poste tout seul, comme il chasse un autre appartement. Jusque là les choses semblent se dérouler en relative synchronicité.
Puis il trouve un nouvel appartement qui a des caractéristiques précises : même immeuble, même configuration, orientation inversée, facilité dans les échanges, et un accord rapide. Il peut sembler normal que le même type de déroulement survienne sous peu dans le champ professionnel aussi, avec des caractéristiques équivalentes. C’est ce qui eut lieu.
Regard systémique sur la conduite de réunions
Vous souhaitez démarrer votre réunion à l’heure. Alors vous annoncez de façon audible: « Il est dix heures. On démarre? »
Un des participants réagit immédiatement en annonçant tout aussi clairement et à l'ensemble de l'assistance « Michel et Odile ne sont pas encore arrivés ».
Quels indicateurs d’inefficacité pouvez vous immédiatement relever? Attention, ils ne concernent pas seulement la réunion en cours mais aussi et surtout de nombreux autres processus opérationnels, à la fois caractéristiques de la culture de cette équipe et de celle de l’ensemble de votre entreprise!
- Ne sous-estimez jamais l'importance d'une petite séquence interactive! Elle véhicule tout un univers.
Autre article sur les processus collectifs en réunion et les cultures d'entreprises
Du local au global
Un simple petit échange de quelques secondes tel celui illustré ci-dessus peut en effet être très riche en enseignements. Considérez les suivants:
- Vous connaissez les membres de l’équipe et vous savez pertinemment qu’il manque deux personnes. Votre demande initiale ne porte pas sur ce point, mais sur le démarrage à l’heure prévue, sur le délai contractuel. La réponse illustre que cela pose un problème.
- Au niveau logique, cette réponse immédiate concerne deux absents. Cela change le sujet. De fait, la réponse sous-entend que si vous aviez remarqué ces deux absences, vous en tiendrez compte en posant plutôt une question sur le motif des absences, ou alors vous proposeriez très simplement d'attendre les retardataires pour ensuite démarrer.
En somme, cette réponse immédiate et naturelle propose un cadre de référence et un système de valeurs alternatif: Plutôt que démarrer à l’heure, attendons les derniers arrivants. Cette alternative n’est pas neutre. Elle véhicule tout un autre paradigme de fonctionnement collectif:
- Démarrer à l’heure privilégie plutôt les personnes présentes et la tâche à accomplir. Il s'agit de respecter les délai préalablement établis. Au sein d'un collectif efficace, cette option met les retardataires en situation d’inconfort voire de confrontation, dans le constat clair de leur non-respect du contrat sur lequel tous les autres choisissent de s'aligner. Il s'agit là d'un indicateur de culture de performance.
- En revanche, l'option de reporter le démarrage jusqu’à l’arrivée des deux retardataires privilégie clairement un ré-alignement de l'ensemble de l'équipe dans l'adaptation collective dans le sens de la minorité moins respectueuse du contrat initial.
Au cours d’une simple réunion parmi d'autres, l’enjeu dans un sens ou dans l'autre n’est pas tellement important, alors pourquoi ne pas attendre un peu? Les arguments de gentillesse, de bienveillance, de politesse, du politiquement correct, etc. ne manqueront certainement pas.
Au niveau fractal et viral, les conséquences de tout choix anodin méritent réflexion
- Si un report est acceptable pour attendre certains retardataires, il devrait être appliqué de façon équitable à tous les membres de l’équipe.
Ce n’est souvent pas le cas. Cela permet de constater que certaines personnes ont bien plus de poids que d'autres pour provoquer des ajustements collectifs. Généralement les plus anciens barons se font attendre plus souvent et plus longtemps. C'est leur privilège. En revanche, si des participants plus jeunes ou moins signifiants sont en retard, la réunion peut démarrer sans eux. Cela illustre que cette équipe voire cette entreprise privilégie le confort des anciens, leurs avantages acquis, leur privilège social, etc. plutôt qu'un comportement collectif plus respectueux des contrats énoncés.
- Quelquefois la qualité du retardataire importe peu. L'enjeu est surtout de contrer les tentatives d'efficacité déployées par l'animateur ou le leader.
A chaque situation précise ses motivations spécifiques, ses enjeux particuliers, ses solutions utiles. Il ne s'agit pas de généraliser.
Si à chaque fois, des retardataires différents sont protégés par les participants présents, cela révèle plutôt une culture collective de bienveillance réciproque. Dans ce cas, chacun peut interpréter que les différentes clauses qui constituent les contrats collectifs sont ajustables: Les délais n'ont qu'une valeur indicative, ils ne sont respectés que s'ils ne mettent personne en situation d'inconfort. Bien entendu, cela vaut pour toutes les autres clauses:
- Si le report est acceptable pour attendre des retardataires, alors pourquoi chacun devrai-il venir à l’heure? Pourquoi d'ailleurs respecter n'importe quelle clause de qualité, éthique ou de procédure? Autant se mettre en porte-à-faux de façon régulière pour créer de l'exception, afin de se faire remarquer, pour se rendre indispensable sinon incontournable.
- Si la gestion du temps des réunions de cette équipe se produit régulièrement de façon similaire, combien d’autres réunions servent à former ou confirmer une culture collective identique, déclinée au sein l’entreprise toute entière par de telles micro-séquences comportementales?
Comment alors les personnes, équipes ou départements les plus lents donnent-ils le rythme de l’ensemble de la recherche, du développement, de la production, de la vente, de la livraison aux clients, de la facturation, etc. dans l'ensemble de l'entreprise?
Comment est-ce utile pour l'ensemble du système d’avoir ce type d'excuse, ce processus fractal: un maillon faible à protéger et qui protège? Sachez qu'un retard, le non respect d'un accord établi et toutes les stratégies d'exception permettent de ne pas se mettre sous la pression d’avoir à commencer a l’heure, à finir dans les délais, à respecter les accords collectifs, à construire un réel alignement collaboratif équitable. Cela peut arranger tout le monde d'avoir une telle excuse anodine.
De la micro séquence à la culture d'entreprise.
Le propos n’est pas ici de dire qu’il faut démarrer à l’heure à tout prix. C'est plutôt le processus qui mérite notre attention de coachs systémiques. Le propos est d'illustrer que tous nos choix comportementaux sont résolument stratégiques, même au sein de nos interactions les plus anodines, tout le temps. Le diable, comme tous fonctionnements et dysfonctionnements se cache au sein des petits détails de nos interactions quotidiennes, dans les plis des interfaces entre un commentaire initial et sa réponse immédiate.
- Ces mini-séquences interactives de moins d'une ou deux minutes illustrent trop souvent la qualité ou la forme des processus bien plus conséquents. Ceux là mêmes qui structurent les modes opératoires de nos collectifs bien plus larges dont les enjeux sont bien plus vitaux.
Qui vole un oeuf vole un boeuf, dit-on. Cela illustre qu'un processus ne doit jamais être considéré comme anodin, même s'il ne dure que quelques secondes pour accomplir un résultat minimal et immédiat. Même apparemment inoffensif, un tout petit processus présente avec précision et fidélité les principes qui structurent la culture active au sein de l'ensemble systémique environnant. Ce même processus est actif au cours de séquences bien plus longues, entre entités bien plus conséquentes, et dont les enjeux sont bien plus stratégiques. Une mini-interaction est une forme de reproduction fractale qui se manifeste à des échelles très différentes, partout; une forme d'ADN dont la présence est observable à la fois au niveau d'un partenariat, d'une équipe, d'un département et au sein d'une entreprise toute entière. Sinon plus.
Par conséquent, toute volonté de changement global doit d'abord être initié au niveau de notre l'immédiateté locale. C'est seulement en se confrontant à des petites modifications comportementales utiles, au cours de mini-séquences anodines et ceci de façon systématique dans tous les détails de nos interactions quotidiennes, que l'on pourra amorcer des changements plus globaux. Par modélisation, reproduction ou effet viral, seules ces mini-modifications quotidiennes au niveau de l'anodin permettront les évolutions plus conséquentes que nous espérons mesurer entre des ensembles bien plus larges, aux enjeux plus conséquents.
- En somme, il est futile voire illusoire de vouloir accomplir des résultats efficaces ou performants au niveau de nos équipes et organisations, en faisant l'impasse sur toutes nos petites habitudes inopérantes, toutes nos mini-compromissions quotidiennes.
Pour devenir coach systémique
Comment faire?
Lors de votre prochaine réunion, écoutez autrement: Remarquez la qualité de chaque séquence interactive. Qui occupe le terrain, qui le laisse à prendre? Qui se désintéresse lorsque qui d'autre parle? Qui contredit et qui soutient? Qui attaque, qui se défends, qui laisse tomber, qui temporise, etc? Qui consulte sa messagerie a un moment stratégique?
Apprenez à reconnaitre des séquences plus longues: les causes et les effets de compétition et de collaboration, de désintérêt et de soutien, d'union et de dé solidarisation, de hausses et de baisses d'énergie, de ténacité et d'abandon, etc. Ces séquences se produisent surtout entre qui et qui?
Examinez avec attention le déroulement du processus de cette réunion de très près, comme s'il était bien plus important que le sujet traité.
- Les caractéristiques d'un processus ou de la forme d'une interaction ont plus d'effet sur le résultat de l'échange que tout ce qui peut être perçu ou mesuré au niveau de son contenu.
C'est dans la qualité de la forme que réside l'essentiel du message.
Lorsque vous avez relevé les processus de votre réunion, ceux qui se déclinent d'une phrase à l'autre, d'une contribution à la suivante, prenez un peu de recul. Chacune de ces petites séquences de communication illustre exactement, de façon fractale, la qualité des relations professionnelles qui se produisent par ailleurs dans votre entreprise: entre personnes, entre services, entre départements, entre divisions.
- Quel que soit le sujet de la réunion que vous observez, c'est au sein de la qualité de ces échanges que se déploie les qualités de la réalité interactive et collaborative caractéristiques de l'ensemble du système que représente votre entreprise.
Si vous ne captez pas tout, ce n'est pas grave. Vous aurez bien d'autres occasions pour parfaire votre étude. Quel que soit leurs sujets, les prochaines réunions offriront des répétitions du même processus, mettant en scène les mêmes interactions entre les mêmes personnes dans presque le même ordre. En effet, les réunions d'un système donné sont vécues comme ennuyeuses surtout parce qu'au fil du temps, par itération, leur processus est devenu presque totalement prévisible. C'est à chaque fois du déjà vu.
- Les sujets de réunions, les débats sur des contenus divers et variés, ne sont que des prétextes qui servent à inlassablement répéter des processus interactifs précis. C'est cette forme fractale qui montre qui nous sommes en tant que système collectif.
Au sein d'une même entreprise, il est possible d'aiguiser notre capacité à observer cette culture collective en observant ces mêmes processus un peu partout: ils sont reproduits ou déployés de façon presque identique au sein de toutes les équipes. Pourtant, chacune d'entre elles est constituée de personnes totalement différentes.
- Au sein d'une même organisation et au niveau de la forme ou des processus, les membres de diverses équipes sont des participants interchangeables. Leur présence ici ou là n'est qu'un prétexte qui sert à véhiculer des rôles prévisibles, répéter des processus clés, mettre en scène des interactions plus ou moins complexes, totalement caractéristiques de la culture de cette entreprise.
Pour amorcer un changement viral
Rien ne sert de changer de sujets, de mieux préparer des contenus innovants, de changer les participants ici ou là. Il nous faut plutôt oeuvrer à modifier la qualité des mini séquences interactives afin d'amorcer des modifications pertinentes, plus constructives, paritaires, collaboratrices, respectueuses des accords préalablement établis. Il nous faut commencer par changer le détail de chaque échange, sans tenir compte du sujet ni des personnes. Jamais ne rien laisser passer qui ne fait pas avancer l'ensemble vers sa finalité choisie.
- Il faut arrêter toutes les petites compromissions locales, que nous acceptons en nous disant que nous privilégions l'ensemble plus large. Pour sauver l'ensemble il faut plutôt commencer par ôter chaque petit grain de sable interactif qui parasite les enchainements dans chaque petite interaction.
Pour le coach – ou manager - systémique, cela nécessite une réelle écoute du détail de la qualité des interfaces. Chaque échange stérile doit devenir une opportunité de rodage d'un autre échange de remplacement, plutôt centré sur un résultat plus collaboratif et constructif. Ce minutieux changement d'habitudes doit être assumé par tous, afin de s'assurer de son évolution rapide, vers une culture plus respectueuse, efficace, collective et paritaire.